« Crazy Ex-Girlfriend », la série musicale, diffusée aux Etats-Unis depuis 2015, débarque ce mois-ci en France, sur Téva.
Pour ma part, je l’ai découverte l’an dernier, je ne connaissais alors que peu chose de l’intrigue, je ne savais même pas qu’il s’agissait d’une série musicale ! Le premier choc passé (car les chansons sont pour le moins originales) je suis vite devenue accro, Monsieur aussi, lui qui est pourtant si réfractaire aux comédies musicales.
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DE QUOI ÇA PARLE ?
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Sur le papier, Rebecca Bunch a tout de ce que l’on est censé désirer en ce début de millénaire. Comprendre un super job dans un cabinet d’avocats en vue, un salaire indécent et un appartement qui surplombe New York. Mais Rebecca est malheureuse et lorsqu’on lui propose une promotion, elle panique, tente vainement de se rassurer (« This is what happiness looks like, right ? ») et voit finalement dans sa rencontre fortuite avec Josh, son amour de jeunesse, un signe providentiel : elle plaque job, salaire et Grosse Pomme, pour s’en aller chercher le bonheur à West Covina, ville californienne d’un peu plus de 100 000 habitants, située à « seulement » deux heures de la mer lorsqu’il n’y a pas d’embouteillage, et dans laquelle vit le susmentionné Josh.
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UN CASTING HORS NORME
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Les numéros musicaux mis à part, l’intérêt de la série, c’est son casting.
L’héroïne, tout d’abord, n’a rien à voir avec ses consœurs calibrées de la CW, sans pour autant tomber dans l’excès inverse. Certes elle n’a ni la plastique parfaite ni l’indépendance et la force de caractère d’une Elena ou d’une Laurel, mais il n’est pas non plus question d’une série sur une femme « moche », bien au contraire, elle est considérée comme une belle fille et aura son lot d’admirateurs.
Et comme la description d’un personnage ne se limite pas à son physique, ajoutons que Rebecca est fragile, dépressive (sa « Sexy French Depression » est à la fois drôle et pathétique), obsessionnelle, jalouse et affreusement égocentrique.
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Le reste du casting est tout aussi réussi, les personnages sont bien écrits, nuancés, et gagnent en profondeur au fil des épisodes. Josh est peut-être le graal pour l’héroïne, il n’a pas pour autant inventé le fil à couper du beurre. On le suit malgré tout avec un regard bienveillant dans sa quête d’identité. Minceur mise à part, sa petite-amie de longue date, la sublime Valencia, ne correspond pas non plus aux clichés hollywoodiens en matière de beauté, et son personnage, qu’on adore détester, n’en a que plus de charisme. Darryl, le nouveau patron de Rebecca, révèle de jolies surprises. Paula, une collègue, quadra mariée et mère de deux adolescents, vit par procuration et encourage l’héroïne à aller toujours plus loin dans sa folie. La relation entre les deux femmes, très bien écrite, est au centre de la série. Citons enfin la mère de Rebecca, géniale et horrible à la fois lorsqu’elle interprète son « Where’s the Bathroom » en débarquant chez sa fille, l’accablant de mille reproches.
Inutile de préciser que tous les acteurs savent chanter, même les plus petits rôles !
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UNE SÉRIE FÉMINISTE, VRAIMENT ?
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Je vous voir venir : ne serait-ce pas plutôt l’antithèse du féminisme que de mettre en scène une femme soi-disant intelligente et sur-diplômée troquant un poste et un salaire à faire pâlir d’envie ses collègues mâles contre une situation professionnelle moins glorieuse et une ville de réussite et de culture contre un trou paumé (« Nowhere, USA » dira sa mère), pensant que son amour de jeunesse suffira à la rendre heureuse ?
On pourrait le croire mais il n’en est rien.
Lorsque j’ai entendu parler de la série pour la première fois – « une jeune femme quitte tout sur un coup de tête pour suivre son ex à l’autre bout du pays » – j’ai effectivement imaginé une énième romance télévisée et ai immédiatement vu dans le titre « Crazy Ex-Girlfriend » une évocation de l’hystérie féminine. Un homme pourrait être collant, pourrait avoir du mal à oublier son ex, il pourrait se méprendre sur ce qui le rendrait heureux, mais en aucun cas on parlerait d’un homme « hystérique » ou « crazy ».
Mais les interrogations quant au titre de la série sont balayées dès le second épisode, lorsque dans le générique (chanté par le casting) l’héroïne fait remarquer le sexisme manifeste du terme « Crazy Ex-Girlfriend ». Le ton est donné : au cas où cela vous aurait échappé après le visionnage du pilote, « Crazy Ex-Girlfriend » est une série à lectures multiples.
« Crazy Ex-Girlfriend » se révèle dès son pilote pertinente, sensible, un brin cynique, et si la série est bourrée d’humour, elle casse rapidement les codes de la comédie, notamment par le biais de chansons aux styles très variés (pop, folk, rap, funk) qui se moquent plus ou moins gentiment de sujet divers, notamment de notre vision des femmes et des relations amoureuses.
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Pour ma part j’ai apprécié qu’une série ose enfin imposer des personnages authentiques, imparfaits et honnêtes (trop sans doute pour beaucoup de téléspectateurs américains, mais c’est là son intérêt)
Car soyons honnêtes, il est tout de même plus facile de se reconnaître dans les préparatifs limite masochistes que s’inflige Rebecca avant un rencard que dans les péripéties amoureuses d’une bande de gravures de mode qui sauvent le monde tous les trois épisodes (ce qui ne m’a pas non plus empêchée de suivre les séries éventuellement visées, je l’admets). Dès le premier épisode, la « Sexy Guetting Ready Song » n’hésite pas à montrer de manière assez crue l’envers du décor, à grand renfort de recourbe-cils, lingettes de cire et culotte gainante. Quelques épisodes plus tard, la chanson « Heavy Boobs » remet elle aussi les pendules à l’heure : Messieurs, n’oubliez pas que « si vous les coupez en deux ce ne sont que des sacs de graisse jaune »
Rebecca reste fofolle et drôle mais le ton de la série se fait plus dramatique dans la seconde saison qui vient de s’achever aux Etats-Unis et qui se penche davantage sur les origines de l’état psychologique fragile de l’héroïne.
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EN BREF !
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Dans l’univers calibré des séries, l’héroïne belle, forte et indépendante serait presque devenue le nouveau conformisme. Dans les années 1990, les premiers rôles féminins se devaient d’avoir une plastique avantageuse, aujourd’hui leurs personnages doivent en plus être indestructibles, tant sur le plan physique que mental. « Crazy Ex-Girlfriend » relève l’exploit de défendre les femmes et de dénoncer les excès auxquels la société les pousse sans pour autant tomber dans le nouveau cliché de l’héroïne parfaite, ni dans celui de la féministe pas féminine, l’exploit d’offrir aux téléspectateurs 40 minutes d’humour, de situations loufoques et de chansons complètement barrées sans pour autant se départir d’un sujet de fond plus ambitieux. La série assume la fragilité psychique et émotionnelle de son héroïne qui n’en est que plus intelligente et talentueuse, et aborde nombre de sujets de société de manière décomplexée, tels que la religion, la mixité culturelle ou la sexualité.
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Et si le féminisme c’était finalement de donner aux femmes les moyens de faire leurs propres choix sans les juger ni leur imposer un quelconque modèle ?
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Et vous, que pensez-vous de la série ?
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