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VISITE – LA CITÉ RADIEUSE DU CORBUSIER À MARSEILLE

La semaine dernière, Monsieur et moi avons rendu visite à ma famille, à Marseille. L’occasion de voir ma ville d’origine avec les yeux d’un touriste et d’en (re)découvrir certaines facettes.

À la fin de notre séjour, Monsieur suggéra que l’on visite la Cité Radieuse. Ah oui. Pourquoi pas. À vrai dire je n’avais jamais envisagé qu’il soit possible de la visiter, je ne m’y étais tout simplement jamais intéressée, voir cet immense bâtiment de l’extérieur m’avait jusqu’ici suffi. Une erreur de plus réparée !

Des visites sont organisées du mardi au samedi à 14h et à 16h. Pendant une bonne heure et demie une guide nous présente, à nous ainsi qu’à une vingtaine de curieux, l’œuvre de Le Corbusier, la replace dans son contexte historique, et nous emmène à la découverte d’un appartement classé, des parties collectives et du toit-terrasse. Une visite passionnante !

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– UN PEU D’HISTOIRE ET D’ARCHITECTURE –

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architecte modulor

Le Corbusier (1887-1965) | Photo © Fondation Le Corbusier | ADAGP

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La visite débute par une observation et une description du bâtiment, par un peu d’histoire et quelques notions d’architecture. Charles-Édouard Jeanneret-Gris, plus connu sous le pseudonyme « Le Corbusier », imagine la Cité Radieuse pour répondre à un besoin bien spécifique. Nombre de français se sont en effet retrouvés démunis à l’issue de la seconde guerre mondiale et l’Etat commande des logements pour reloger les plus nécessiteux. C’est ainsi que l’architecte et designer imagine un village vertical sur pilotis, idéal, efficace et à dimension humaine, niché au cœur d’un parc de 2,8 hectares.

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le corbusier façade cite radieuse marseille

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La Cité Radieuse réunit les 5 points de l’architecte moderne définis par Le Corbusier dès 1926 :

1. Les pilotis, sur lesquels repose la structure, répondant ainsi aux considérations hygiénistes de l’architecte. Garages souterrains et autres installations en sous-sol sont tout simplement supprimés. Conduits et gaines circulent le long des pilotis. Leur intérêt est également esthétique : l’ensemble est visuellement plus aéré, l’imposant bâtiment ne reposant pas directement sur le sol.

2. Le plan libre. Murs porteurs et autres refends (murs porteurs intérieurs) ont été supprimés, la structure repose sur un ensemble de piliers et planchers porteurs : des poteaux et des dalles en béton armé ou en acier. Dans le cas présent les cloisons, plus légères, ont été fabriquées en usine en quantité industrielle pour des considérations d’ordre économique.

3. La façade libre. Les poteaux porteurs étant placés en retrait de la façade, celle-ci demeure indépendante de la structure du bâtiment.

4. Les fenêtres en bandeau, possibles grâce au plan libre.

5. Le toit-terrasse, encore très peu répandu à l’époque, s’impose comme un lieu de rencontres, de divertissement et de culture, et comprend à sa création un gymnase, un solarium, une piscine, une piste de course, un théâtre et la cour de récréation de l’école maternelle de la Cité Radieuse.

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maquette cite radieuse

Maquette en cours de réalisation montrant les fondations et la structure de la Cité Radieuse

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Impossible de ne pas s’attarder sur les couleurs qui animent la façade de la Cité Radieuse :

– les trois teintes primaires, considérées comme les plus joyeuses des couleurs : bleu, rouge, jaune ;

– des couleurs qui évoquent la nature : vert, brun ;

– le blanc, pour aérer l’ensemble.

Nous retrouverons ces mêmes teintes à l’intérieur du bâtiment, utilisées ensemble ou séparément selon l’effet et l’atmosphère voulus.

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le corbusier façade cite radieuse marseille

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Avec ses dimensions hors normes (137 mètres de long, 56 mètres de haut, 24 mètres de large), son toit-terrasse semblable au pont d’un navire et sa grande cheminée, la Cité Radieuse évoque aisément un paquebot. Mais Le Corbusier puise également son inspiration du côté des constructions américaines de l’époque. Le hall d’accueil en est un parfait exemple avec ses bancs, son bureau d’accueil, son kiosque à journaux ou encore ses cabines téléphoniques.

L’influence d’Auguste Perret – auprès duquel Le Corbusier effectua un stage au début du siècle – est manifeste : le béton armé est omniprésent dans la Cité Radieuse, à l’extérieur mais également jusque dans le hall d’accueil, les cages d’escaliers et les couloirs où il est laissé nu. Seul détail puriste : l’incrustation de coquillages dans les murs en béton du hall, un autre rappel de la nature.

Lorsque la Cité Radieuse, surnommée « la Maison du Fada » est achevée en 1952, le public auquel elle s’adressait a déjà été relogé, et les Marseillais la boudent. L’aspect général du bâtiment, sa situation géographique, l’agencement des appartements sont autant de facteurs d’impopularité. Deux ans seulement après la fin des travaux et après avoir vainement tenté d’y loger des fonctionnaires, l’Etat est contraint de vendre à des particuliers, le logement social devient une copropriété.

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– DES RUES ET DES CELLULES –

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Avant d’évoquer plus en détail le fonctionnement de la Cité Radieuse, il est nécessaire de se familiariser avec le vocabulaire propre aux lieux. Par exemple, on ne parle pas d’ « immeuble », ni d’ « étages », pas plus qu’on ne parle de « logements » ou d’ « appartements ». Dans ce village vertical, il est question d’une « unité d’habitation » composée de « rues » et de « cellules ». Le terme « cellule » (qui correspond à un appartement donc) peut surprendre, il nous évoque aisément un espace confiné – personnellement je pense immédiatement « univers carcéral », puis « biologie ». Ici, la cellule désigne tout à la fois le contenant et son contenu, le logement et le logé, il s’agit donc d’un espace confortable entièrement pensé pour le bien-être de la cellule familiale qu’il accueille.

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Plan d’un appartement | Photo © Fondation Le Corbusier | ADAGP

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L’unité d’habitation est composée de 337 cellules. Il en existe 23 types, non pas définis selon le nombre de pièces (F1, F2, F3…) mais nommés de A à H en précisant « traversant » ou « non traversant » et « montant » ou « descendant ». Toutes les cellules sont des duplex, exception faite des types A et B, aux surfaces trop réduites (15 et 32 m²). Un étage du duplex est au niveau de la « rue intérieure » par laquelle on accède à l’appartement. L’autre étage passe au-dessus (cellule de type « montant ») ou en-dessous (« descendant ») de la « rue ». Le tout s’imbrique parfaitement, aucun espace n’est perdu. En résumé, une même « rue » dessert des appartements de part et d’autre de celle-ci, répartis sur trois niveaux. Seul celui du milieu est accessible par la « rue » et par les ascenseurs, l’espace parfois laissant vacant (selon les dimensions des cellules) est alors aménagé en espace collectif, accessible par les escaliers.

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plan appartement cellule duplex

1: rue intérieure / 2 : cellule de type E traversant montant / 3 : cellule de type E traversant descendant / 4: loggias | Photo © Fondation Le Corbusier | ADAGP

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Seuls 3 ascenseurs desservent les 9 « rues » que compte la Cité Radieuse, l’idée étant de créer des files d’attente et d’inviter ainsi les habitants à créer des liens et communiquer entre eux dans le hall. Des liftiers étaient employés jusqu’en 1986, les ascenseurs ont par la suite étaient automatisés. Les paliers d’ascenseur sont colorés en bleu et vert, des couleurs qui accueillent, et la lumière, qui entre par l’est, invite à avancer. Une fois dans la « rue » en revanche, tout est fait pour que l’on ne s’attarde pas. Les couloirs sont en effet bas de plafond, sombres. Ainsi les habitants ont hâte de rentrer dans leur « cellule » et ne bloquent pas la circulation dans la « rue ». La lumière, colorée, est artificielle et émise depuis les portes (colorées elles aussi).

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le corbusier couloir cite radieuse marseille

6ème  rue intérieure

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Une fois de plus, tout était pensé pour faciliter le quotidien des habitants. Si les boîtes aux lettres étaient (et sont toujours) situées au début de chaque rue, chaque porte était équipée d’un boîtier dans lequel étaient livrés le lait et les journaux ainsi que d’une trappe destinée à accueillir les pains de glace qui atterrissaient directement dans la glacière de la cuisine. En outre, chaque cellule disposait d’une ligne téléphonique directe vers la supérette de la Cité Radieuse.

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– L’APPARTEMENT CLASSÉ –

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le corbusier appartement classe

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Comme je vous le disais, il est possible de visiter un appartement classé et donc présenté « dans son jus ». Situé dans la 6ème rue, il s’agit d’un duplex de type E, traversant et montant, car l’on « monte dans les chambres». (A l’inverse, dans les appartements dits « descendants » on descend au niveau -1 pour accéder aux chambres.) D’une surface totale de 98 m², il est conçu pour accueillir dans les meilleures conditions une famille de 6 personnes maximum.

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le corbusier appartement cite radieuse vintage

Cuisine | Salon | Escalier menant aux chambres | Parquet d’époque

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L’entrée se fait directement sur une cuisine ouverte de 5 m², aux dimensions plus que réduites donc, mais – vous l’aurez deviné – à la pointe de la modernité (cuisinière électrique, hotte aspirante, vide ordure, passe-plat) et dans laquelle tout a été pensé de manière à optimiser l’espace (par exemple, les portes des placards sont coulissantes, comme dans un bateau) et respecter la logique de préparation des repas. Cet agencement à l’américaine était loin de faire l’unanimité dans les années 1950, les Français étant alors toujours habitués aux cuisines séparées des salons et des salles à manger.

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corbusier modulor

Modulor | Photo © Fondation Le Corbusier | ADAGP

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Les dimensions de la cellule s’appuient sur le Modulor, une notion d’architecture développée par Le Corbusier. Un système de mesure lié au nombre d’or (Modulor = module + nombre d’or) et à la suite de Fibonacci, plus pertinent selon lui que le système métrique. Il s’agit plus simplement d’une silhouette humaine standardisée (d’une hauteur de 1,83m) à partir de laquelle l’architecte a déterminé les proportions idéales des cellules, de sorte que celles-ci offrent un maximum de confort à l’Homme. En résulte cependant une hauteur sous plafond assez basse (2,26 m) qui a elle aussi contribué au manque d’intérêt des Marseillais pour la Cité Radieuse.

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Fenêtres | Bancs devant la loggia et chauffage | Vue sur la loggia | Loggia

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L’espace salon est équipé de niches colorées (bleu, vert) et d’un long banc en bois qui masque un système de chauffage. Les fenêtres donnent sur la loggia et s’ouvrent intégralement, permettant ainsi de gagner 4 m² de surface.

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Chambre parentale | Coin nurserie dans la chambre parentale | Vue sur le salon depuis la chambre parentale | Vue de la chambre depuis le salon | Depuis la chambre parentale, vue du couloir menant aux chambres des enfants | Placards dans le couloir

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Un escalier en métal et en bois dessert le niveau supérieur qui comprend la chambre parentale (avec sa salle de bain attenante), un couloir équipé de placards coulissants, ainsi que deux chambres d’enfant parfaitement identiques et communicantes (équipées d’un point d’eau elles aussi). Petit détail qui prouve qu’on n’a décidément rien inventé : la peinture ardoise qui recouvrait déjà dans les années 1950 la porte coulissante séparant les deux chambres et sur laquelle les enfants pouvaient ainsi laisser libre court à leurs talents créatifs.

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Salle d’eau dans une chambre d’enfant | Niche | Loggia dans une chambre d’enfant

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Quid du prix des logements ? Ils diffèrent selon la distribution de la cellule (montant ou descendant) et de la vue : dans le cas d’un traversant par exemple, une vue mer depuis le salon et la chambre des parents est préférable à une vue mer depuis la chambre des enfants. L’appartement classé que nous avons visité est quant à lui estimé à 279000€, rien d’extravagant donc, compte tenu du quartier.

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– TOIT-TERRASSE ET ESPACES COLLECTIFS –

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Les 3ème et 4ème « rues » (étages) ne comportent pas de duplex, elles accueillent les studios (types A et B), des bureaux ainsi qu’un hôtel-restaurant. (Il s’agissait à l’origine d’un hôtel communautaire, les habitants de la Cité y logeaient leur famille en visite.) Pour y accéder nous empruntons cette fois-ci les escaliers et passons devant quelques espaces collectifs : une salle de ping-pong, un vestiaire et même une salle de cinéma, équipée d’une quarantaine de fauteuils en velours.

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salle de cinema escaliers

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La partie collective comprend notamment un jardin d’hiver : de larges baies vitrées exposées à l’ouest laissent passer la lumière, atténuée par la présence de brise-soleil, et sont longées de bancs. La nuit venue, des lampadaires arrondis en forme de clé de fa (imaginés par un ami compositeur de Le Corbusier) diffuse une lumière douce.

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jardin d hiver corbusier

Jardin d’hiver | Lampadaires en clé de Fa

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Cette 3ème « rue » accueillait autrefois un teinturier, une laverie, un coiffeur ainsi que des commerces de bouche. L’ouverture de supermarchés à proximité de la ville et la démocratisation de la voiture précipitent leur fermeture à la fin des années 1960. L’ancienne supérette de la Cité a été rachetée par l’hôtel qui a conservé l’inscription « prenez un panier et servez-vous » sur les murs. Des commerces spécialisés ont depuis réinvesti la Cité Radieuse, principalement des cabinets d’urbanisme, des agences immobilières, des maisons d’édition et des showrooms (décoration, mobilier).

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rooftop theatre piste course

Partie accessible au public du toit-terrasse : Piste de course | Théâtre | Espace vert

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Dernière étape de la visite : nous empruntons l’ascenseur jusqu’à la 9ème « rue » qui dessert le toit-terrasse. Ce dernier est séparé en deux. La partie réservée aux habitants comprend une piscine ainsi que la cour de récréation de l’école. L’espace accessible au public accueille une cheminée semblable à celles des paquebots, une piste de course de 500 mètres et une tour de béton dans laquelle ont été installés le local technique pour les ascenseurs et le château d’eau.

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rooftop corbusier

Partie accessible au public du toit-terrasse : MAMO | Cheminée | Détail décor

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En 2013, Ora Ito rachète le gymnase et le transforme en un espace de création artistique, le MAMO, pour « Marseille Modulor » ou « Marseille Main Ouverte », le clin d’œil au MOMA de New York en prime. Le designer star invite régulièrement des artistes à y créer des œuvres in situ.

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gymnase corbusier cite radieuse ora ito

Ancien gymnase accueillant le travail de Jean-Pierre Raynaud au moment de notre visite

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Classée « Monument historique », « la Maison du Fada » séduit de plus en plus et l’acquisition d’une « cellule » passe désormais souvent par une liste d’attente. Plébiscitée par les architectes amateurs ou professionnels du monde entier, elle fait partie depuis 2016 du Patrimoine Mondial de l’UNESCO.

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– INFOS PRATIQUES –

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LA CITÉ RADIEUSE DE MARSEILLE

280 boulevard Michelet 13008 Marseille

Visites du lundi au samedi à 14h et 16h – Réservation obligatoire – Tarifs : 10€/adulte, 5€/enfant

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MAMO – Centre d’art de la Cité Radieuse – Ouvert du mardi au dimanche de 11h à 18h – Entrée libre

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